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Ce n’est peut-être pas aussi important que la ré-intégration des USA dans les Accords de Paris sur le Climat ou la mise en place d’un groupe de travail « Covid ». Pourtant, un membre de l’équipe du Président élu Joe Biden doit néanmoins préparer l’investiture du nouveau Président le 20 janvier 2021.

La mission met en lumière l’une des singularités de la politique américaine. Cinq poètes ont lu ou récité des poèmes lors d’investitures présidentielles américaines, et cela s’est toujours déroulé dans le cas de présidents démocrates.

Robert Frost, aux cheveux blancs, fins et clairsemés, a été le premier, en 1961, lors de l’investiture du Président John F. Kennedy, et le lien démocrate avec la poésie s’est poursuivi avec Bill Clinton (à deux reprises) et Barack Obama (à deux reprises également).

Dans l’intervalle, aucun des républicains n’a recherché l’aide des poètes, bien que l’ancienne bibliothécaire et enseignante Laura Bush ait organisé une réception d’auteurs américains à la veille de l’investiture de son mari Georges W. Bush en 2001. On comptait parmi les invités, Mary Higgins Clark, l’historien Stephen Ambrose et le célèbre critique de jazz Stanley Crouch.

C’est le 20 janvier 1961 que commença la tradition d’intégrer un poète à la cérémonie, si on peut appeler cela une tradition. En ce jour particulièrement froid, Robert Frost a récité de tête son poème « The Gift Outright », une demande spéciale du nouveau Président JFK. En fait, Frost avait bien écrit pour l’occasion, un autre poème – « Dedication ». Mais lorsqu’il est monté sur le podium, s’est produit un concours de circonstances, un ensoleillement particulièrement éblouissant, le vent, des caractères d’impression peu lisibles, tel qu’il eut du mal à lire le texte. Il avait alors presque 87 ans, était frêle et manifestement en difficulté.

Dans les images des prises de vue en noir et blanc de l’occasion, qui semblent bien cocasses, on voit le Vice-Président Lyndon B. Johnson mettre son chapeau au-dessus des feuilles volantes pour donner de l’ombre, en vain. On entend quelques rires nerveux, et c’est alors que le non-officiel poète lauréat du pays se saisit du moment et récite le poème tant apprécié « The Gift Outright », apportant ainsi un changement à la demande initiale de Kennedy. Il remplace le conditionnel par le futur dans le dernier vers :

‘To the land vaguely realizing westward,

But still unstoried, artless, unenhanced,

Such as she was, such as she will become.’

 

En 1993, Maya Angelou a lu « On the Pulse of Morning » lors de la première investiture de Bill Clinton, qui a été publié dans une édition spéciale par Random House. Lors de la seconde investiture de Clinton, en 1997, Miller Williams, l’ami de longue-date de Clinton, dans l’Arkansas, décédé en 2015, a lu « Of History and Hope ». C’est ensuite la jeune poète Elizabeth Alexander, née à Harlem, qui a lu « Praise Song for the Day » lors de la première investiture de Barack Obama en 2009. Le poème se termine joliment sur ces vers:

‘In today’s sharp sparkle, this winter air,

any thing can be made, any sentence begun.

On the brink, on the brim, on the cusp,

praise song for walking forward in that light.’

 

Lors de la seconde investiture de Obama, en 2013, Richard Blanco a été le premier latino et le premier poète ouvertement homosexuel à lire lors d’une investiture présidentielle. Son poème « One Today » débute avec une puissante introduction, comme si l’on s’élevait au-dessus de la terre.

 

‘One sun rose on us today, kindled over our shores,

peeking over the Smokies, greeting the faces

of the Great Lakes, spread simple truth

across the Great Plains, then charging across the Rockies.’

 

Il est probable que Biden choisisse un poète, ou tout du moins que la poésie soit partie intégrante de la cérémonie. La poésie représente sans doute plus pour Biden que pour n’importe lequel de ses prédécesseurs. Il a évoqué ses récitations de Yeats, enfant, pour guérir de son bégaiement, et il adore citer Seamus Heaney, en particulier ce couplet de son interprétation de Philoctète de Sophocle, « The cure at Troy », publié par Faber :

 

‘History says, Don’t hope
On this side of the grave,
But then, once in a lifetime
The longed-for tidal wave
Of justice can rise up
And hope and history rhyme.’

Il a cité ces lignes dans sa vidéo de campagne, une référence hautement littéraire qui a laissé l’actuel Président silencieux sur Twitter (bien que l’on puisse imaginer Trump dénigrer « Seamus qui ? Joe l’endormi a déterré un quarterback dont personne n’a jamais entendu parler. Triste, vraiment triste. »)

Est-ce que le fait que tous ces poètes aient lu durant des investitures de présidents démocrates signifie qu’ils étaient ou sont démocrates eux-mêmes ? Angelou l’était assurément ; ainsi que Miller Williams, qui a fait campagne pour Clinton. On peut supposer que Elizabeth Alexander l’est, puisqu’elle est une amie de Obama de l’Université de Chicago, où ils étaient tous deux membres du personnel. Ses parents étaient tous deux actifs dans le mouvement des droits civiques, et la portaient dans leurs bras, alors âgée d’un an, lors du célèbre discours de Martin Luther King « I have a dream ».

Il semble hautement improbable que Blanco soit républicain. Il est, après tout, un membre fondateur du Conseil Consultatif de la Fondation Obama. Ce qui ne laisse plus que l’icône américaine, Robert Frost. Au début, on suppose qu’il a dû être démocrate ; après tout, Kennedy, avait pour habitude de conclure ses discours de campagne en remerciant ceux qui étaient venus, et ensuite, en citant Frost, dans « Stopping by Woods », à propos « des kilomètres encore à parcourir avant de dormir ».

Mais en creusant un peu le sujet, on se rend compte que ce n’est pas si évident. Jay Parini dans « Robert Frost A Life » note que Frost n’était pas un fan du New Deal des Années 30 – des mesures de sécurité sociale introduites par le Président démocrate Roosevelt : « [Frost] a gardé son conservatisme anti-New Deal jusqu’au bout », écrit Parini, « persuadé qu’il était préférable de survenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille que de laisser l’Etat le faire ». Il détestait la notion du collectif, de masse ».

Il détestait aussi tous les « isme », évidemment, préférant se définir comme un « combattant solitaire », et exprimant une aversion pour le socialisme, le communisme, l’anarchisme, et même l’humanisme, selon Parini. En cela, il était s’apparentait plus à un libéral.

Il serait imprudent de conclure à partir des investitures de seulement trois présidents que seuls les démocrates ont une sensibilité poétique, et il importe de noter que c’est l’administration de Ronald Reagan qui a créé le poste de Poète Lauréat des Etats-Unis en 1985.

En 2017, l’année où Trump devient Président, le poète de San Francisco et auteur Dean Rader a d’abord déclaré qu’il ne lirait pas durant la cérémonie d’investiture, mais plus tard a dit au Washington Post : « Je pense que nous avons un devoir en tant qu’artistes d’intégrer nos voix à une discussion plus large à propos de notre pays et de notre culture. En quelque sorte, l’investiture d’un président est une affirmation de la démocratie. A plus large échelle, il ne s’agit pas seulement d’une personne en particulier, mais d’un idéal – un projet philosophique. » Il s’est avéré que l’appel n’a pas été entendu, et aucun poète ne s’est exprimé durant l’investiture de Trump.

Il sera intéressant de voir qui sera choisi par Biden. Qui choisira-t-il pour marquer cette passation de pouvoir historique ? Qui choisira-t-il pour prononcer une phrase qui marquera la conscience nationale ? Qui saisira le moment et essaiera, sur cette scène mondiale, de nous faire tous croire, pour citer à nouveau Heaney, « qu’un autre rivage est accessible depuis ici » ?